La poésie de Cécile Coulon

Pour ce #lundipoésie je retourne à cette très belle anthologie publiée chez @editions.bruno.doucey qui me semble parfaitement appropriée pour ce mois de Mai…

J’ai choisi le poème « Une fois par jour » de Cecile Coulon, extrait de son recueil Les ronces. Je n’ai jamais rien lu de cette auteure à part ce poème qui me donne envie de poursuivre ma découverte !

« Une fois par jour quelqu’un que je ne connais pas
Me demande mon avis sur des choses
Qui ne me regardent pas,
– Comment faire pour se remettre d’une rupture –
– Est ce que je dois avoir honte de ce que je suis –
– Peut-on tout pardonner –
Des questions de ce genre, des questions comme des briques
Sur le coin de la figure et une fois par jour je réponds
Que personne ne peut répondre à la place de celui
Ou celle qui pose la question
Et pourtant ça continue, plus j’écris des romans
Et plus je raconte
Des histoires idiotes en soirée plus on me demande des conseils
Sur des passages difficiles du quotidien :
C’est la première et la dernière fois que je dis ce que j’ai à dire
Là-dessus après je retournerai couper la tête des poules
Dans la basse-cour
Ou jouer aux cartes.
Si tu veux te remettre d’une rupture, d’un deuil, cesser d’avoir
Honte de ce que tu es et pardonner au monde extérieur
Ses innombrables trahisons, mensonges
Et croche-pattes,
Travaille comme un âne du dix-huitième siècle,
Avec acharnement et en silence,
Bois souvent mais jamais seul,
Fais-moi jouir une fois par jour au moins,
Pour que ton corps se souvienne de ce que ça fait,
De plus jouir est excellent pour le sommeil
Et contre les mauvaises pensées,
Ouvre les fenêtres en plein hiver le froid ça occupe la tête
Et ça empêche de pleurer
Ne garde rien de ce qui t’a fait tant de mal, les lettres,
Les photos, les listes de courses,
Les partitions, les marque-pages,
Ne garde rien, ne jette rien non plus,
Fais en cadeaux à quelqu’un qui trouvera ça beau,
Travaille comme un cheval du moyen-âge,
Mange une seule fois par journée,
La faim ça occupe la tête et ça empêche de pleurer,
Vois tes amis mais jamais chez toi,
Vois tes familles mais jamais chez toi,
Vois tes collègues mais jamais chez toi,
Répète que ce n’est pas grave, tu as atrocement mal,
Et ton sourire est une plaie ouverte
Mais ce n’est pas grave, ça ne le sera jamais
Répète que ça n’a pas d’importance, ne réponds pas
Au téléphone, ne réponds pas aux messages sur le répondeur
Ne réponds pas aux lettres, ne réponds pas à toutes
Ces formes de signaux lancés à travers les autres,
Les sites internet et les inscriptions sur le mur dans l’entrée,
Claque tout ton pognon, achète des objets inutiles et très chers,
Fais toi jouir une fois par jour au moins,
Pour que ton corps se rappelle que tu en es capable,
Fume, mais pas dans ton lit
Fume, mais pas dans tes toilettes
Fume, mais pas en regardant les voisins
Qui s’embrassent sur la terrasse
Si tu veux t’en sortir, nom de dieu,
Fais absolument ce que tu veux de ta vie mais cesse donc
De poser la question à quelqu’un qui a mis du temps
Avant de trouver ses propres réponses.
«