Pousser
C’est parti pour la première carte de mon « oracle » #puiserdansleslivres !
Le maître-mot aujourd’hui est « pousser ». Pousser comme faire grandir, cultiver, croître, éclore, inciter mais aussi comme semer, enraciner, ancrer, nourrir.
D’une certaine façon tous les livres ont eu cette fonction pour moi, chaque lecture a permis de développer quelque chose ou de me délester d’une autre. (Désherber un peu, c’est clé pour bien pousser 😉). Pourtant, au moment de faire ce choix, certains bouquins se sont imposés; je vous les présente ici dans le désordre.
Sept milliards de visages, Peter Spier. Un livre dans lequel j’ai plongé enfant et qui n’a cessé de m’émerveiller depuis ! L’auteur y présente avec peu de mots et des dessins plein de détails à quel point les êtres humains sont tous différents physiquement et culturellement et à quel point ils ont en commun. Chaque page nourrit la curiosité, fait réfléchir à la différence et donne de l’appétit pour découvrir le monde. Je le feuillète avec mes enfants avec le même plaisir que celui que j’avais eu en le découvrant enfant.
Fureur et Mystère, René Char. Une poésie dense, ramassée, solaire et militante écrite entre 1938 et 1947; le recueil contient notamment « Les feuillets d’Hypnos » écrit durant la guerre lorsque René Char dirige une des section de la Résistance. Les mots sont concrets et leur pouvoir d’évocation infini. Entre aphorismes philosophiques et constats brutaux, la poésie est au cœur de l’action. Ce livre est pour moi un compagnon depuis l’adolescence. Je déteste quand on le cite à toutes les sauces (notamment pour justifier une action politique) mais il est une référence intime importante.
La mise en scène de la vie quotidienne (T1 et T2), Ervin Goffman. Un bouquin de sociologie des années 50 qui analyse comment les interactions entre personnes au quotidien relèvent d’une sorte de théâtre dans lequel chacun tend à se présenter aux autres d’une certaine façon et à poursuivre des interactions avec d’autres selon sa propre logique narrative. Les lieux des conversations deviennent donc des scènes (qui n’a pas « préparé » son intérieur avant d’y accueillir quelqu’un d’important par exemple ?) et chacun tâche d’y tenir son rôle sans fausse note. Ce livre m’a demandé un réel effort de lecture mais il a profondément nourri ma façon de regarder les gens, mon imaginaire dans le théâtre d’impro, ma bienveillance aussi envers nos travers universels.
Game people play, Eric Berne. Je vous le présente dans la foulée car il a été écrit 10 ans après celui de Goffman et m’en semble un héritier direct. Éric Berne est un psychiatre canadien fondateur de l’analyse transactionnelle. Il observe ce qui se joue entre des personnes dans une e relation en s’appuyant sur la conviction qu’il y a en chacun de nous un parent, un adulte et un enfant et que selon les combinaisons avec notre interlocuteur certaines attitudes sont plus fertiles que d’autres. Ce livre m’a passionné et je l’ai beaucoup offert ! Il affute le regard sur ce qui se joue entre les gens, les réflexes que nous pouvons avoir inconsciemment et donne des clés pour les identifier et gagner en conscience. C’est un ouvrage de vulgarisation très fort (même s’il comporte des schémas bizarres qui m’ont toujours fait penser aux schémas qui expliquaient les danses de salon…)
Un autre pays, James Baldwin. Années 50 à Greenwich Village : dans l’indifférence de la ville, un homme noir, musicien de jazz épuisé par sa lutte pour vivre dans un monde de Blancs, se suicide. Abordant de façon frontale et saisissante les enjeux et douleurs de la ségrégation, de l’homosexualité et de la bisexualité, de l’identité afro-américaine, de la jalousie, de la volonté des Blancs de minimiser l’importance des tensions raciales, ce bouquin bouillonne et brûle. Il a mis des mots sur des choses que je percevais sans savoir les dire, a nourri ma réflexion sur les rapports entre Noirs et Blancs et m’a emportée dans son écriture vitale et syncopée. Et puis, il m’a permis d’avoir des conversations toniques et précieuses avec d’autres lecteurs.
Pensées pour moi-même / Manuel d’Epictète, Marc-Aurèle. Ces aphorismes de l’Empereur Marc-Auréle, qu’il avait assemblés dans son journal, n’étaient pas destinés à être lus mais lui servaient plutôt de « conversations avec lui-même ». Ses réflexions portent principalement sur les qualités morales d’un homme, la notion de devoir, les principes pour mener sa vie et aborder la mort sans crainte. Si leur abord peut sembler un peu rugueux et moralisateur, ces réflexions venues de l’Antiquité m’ont aidée à réfléchir à ce que je considérais comme important dans ma vie, de quelle façon je voulais la mener pour me sentir en accord avec mes valeurs. C’est un processus perpétuel bien sûr et ce livre me permet de relancer régulièrement cette introspection.
The Blazing World, Siri Hustvedt. (Traduit par « Un monde flamboyant » en français). Un professeur d’art mène une étude sur une artiste plasticienne tout juste décédée. En dialoguant avec ses proches et en lisant ses carnets, il va découvrir comment celle qu’on avait avant tout perçue comme la femme d’un galeriste renommé, a vécu sa vie d’artiste et comment elle a navigué avec hargne pour défendre sa création dans un monde machiste. Tout dans ce livre me passionne : la vie d’artiste et le rapport à la création, le monde de l’art et ses fourberies, la volonté d’émancipation et le poids d’une société patriarcale, l’ironie et l’humour comme armes fatales et, bien sûr, les fascinantes installations de l’artiste. C’est un livre magistral tant dans l’écriture que dans le propos et il a nourri mes réflexions féministes.
Photographie et société, Gisèle Freund. Une grande photographe analyse comment ce media (considéré comme un faible erzatz de la peinture) est historiquement devenu un art à part entière ainsi qu’un outil politique qui modèle nos rapports sociaux. Tout ça en 1974 avant les selfies ! Ce livre a été pour moi le fondement d’une réflexion sur la photo et sur comment elle influence notre perception du monde, réflexion qui continue de m’animer et de me nourrir aujourd’hui.
Almanac of the Dead, Leslie Marmon Silko. Je ne sais même pas comment vous raconter ce livre ! C’est une expérience folle qui vous plonge au cœur des Amériques par l’œil des Amérindiens et vous emporte de temporalités en lieux sans vous laisser reprendre votre souffle. Il faut surtout oublier votre esprit cartésien et vos habitudes de lectures pour vous laisser porter par ces voix chargées d’histoires et de sagesse. Je lis beaucoup de bouquins écrits par des auteurs amérindiens (First Nations) et cela pourrait faire l’objet d’un article interminable… Beaucoup de ces livres m’ont marquée mais j’ai choisi celui-ci parce qu’il est celui dont la lecture s’est le plus rapproché d’une sorte de « transe » nourrissante …
Si vous m’avez lue jusqu’ici merci et bravo ! Et vous, quels sont les livres qui vous ont fait pousser ? Je serais ravie de vous lire dans les commentaires 😊