L’ogre, Jacques Chessex.

« C’est le soir que commença son tourment. Tout d’abord, il se découvrit étrangement seul quand il fut installé devant le menu qu’il venait de commander au bar de l’Hôtel d’Angleterre. Aux autres tables on riait, des femmes épanouies et brunies répondaient à des hommes beaux. Des jeunes gens se tenaient les mains. Jean Calmet, crispé, morose, déplaçait minutieusement trois filets de perches dans son assiette, encore une fois il les aspergeait de citron, puis sa fourchette poussait un petit poisson pour l’aligner ironiquement contre les deux autres sans qu’il se décidât à le porter à sa bouche. Le vin tiédissait dans son verre. Depuis une heure une image le persécutait. Jean Calmet hésitait à la regarder, il la repoussait, il l’enfonçait dans les couches opaques de sa mémoire parce qu’il savait qu’il allait souffrir au moment où il se la représenterait avec précision. »
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Jean Calmet, quadragénaire et discret professeur de latin, vient de faire incinérer son père. Cette figure imposante et castratrice a jeté une ombre sur toute sa vie et son décès vient faire vaciller tout ce qui était connu. Sans « l’Ogre » tout est-il à nouveau possible ou bien tout est-il définitivement perdu pour le fils ?
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Un livre très sombre, poignant et sans espoir. La lecture a été progressivement de plus en plus éprouvante car la langue est d’une clarté incisive, belle et dure. J’ai été emportée par les émotions décrites avec une justesse frappante et émerveillée/soulagée par les moments de calme.
TW : J’en déconseille vivement la lecture si votre humeur est noire ou morbide.