Deux sœurs, Elizabeth Harrower.
Traduit de l’anglais par Paule Guivarch.
Editions Rivages
« C’était étrange de ne faire de projets que le matin pour l’après-midi et le soir, alors que le jour suivant, la semaine suivante n’étaient qu’un vide informe et l’année suivante, ou les cinq années suivantes, semblables à l’espace au-delà de l’univers. Elle avait la sensation d’avoir égaré un plaisir vital dont elle n’avait qu’un vague souvenir, ou bien une partie d’elle-même. Il n’y avait pas de place pour le rêve.«
A la mort de leur père deux jeunes filles vivant à la campagne sont ramenées à Sydney par leur mère qui se désintéresse totalement d’elles. L’aînée, pourtant prometteuse, est envoyée en école de dactylo pour rapidement trouver un emploi et subvenir aux besoins de sa mère et sa sœur. Une fois placée dans une entreprise, sa mère l’encouragera à en épouser le directeur pour s’assurer une vie stable. Dès lors, la mère repart dans son Angleterre originelle et plante là ses filles.
Le mari se révèle peu à peu un homme tyrannique et misogyne dont les brusques colères et changements d’humeur terrorisent les deux sœurs. Sous son emprise, elle vont l’une comme l’autre chercher le moyen de conserver leur santé mentale …
Quel roman glaçant ! Il décrit en finesse la façon insidieuse dont le mépris ronge l’estime de soi, ligote le sens de l’initiative et réduit irrémédiablement l’horizon des personnes.
On y observe aussi comment la sœur aînée intègre le jugement dépréciateur de son mari et le reporte sur sa cadette qui devient sa propre victime.
J’ai trouvé la complexité psychologique du trio admirablement transcrite et je pourrais en parler des heures ! (Tout est passionnant : l’homosexualité probable du mari, le goût pour le malheur qui devient la colonne vertébrale d’une vie car on a peur de quitter ce qu’on connait, la rêverie comme moyen de s’abstraire de tête et de corps d’un lieu, le besoin de plaire pour se trouver de la valeur…)
Je vous le conseille instamment même s’il est assez lourd à lire.