Les mots de Cesare Pavese

Un #lundipoésie italien à nouveau avec un texte extrait d’un livre que je vous ai déjà présenté et que j’aime beaucoup de Cesare Pavese. Ce coup-ci, le poème provient de la section « Travailler fatigue ».

J’ai choisi de vous présenter « Maternité » mais les textes se répondent beaucoup dans ce recueil et je vous conseille de le feuilleter !

« C’est un homme qui a fait trois enfants ; un grand corps
vigoureux, qui se suffit à soi. Quand on le voit passer,
on se dit que ses fils ont la même carrure.
Ils sont sortis sans doute des membres de leur père
(la femme ne compte pas) complètement formés,
trois gaillards comme lui. Mais quel que soit leur corps,
pas un pouce et pas même un réflexe ne manquent
aux membres de leur père : ils se sont détachés de son corps
en marchant près de lui.
Il y a eu une femme,
une femme au corps ferme, qui sur chacun des fils
a répandu son sang et qui est morte au troisième.
Les enfants trouvent drôles de vivre sans la femme qu’aucun d’eux
ne connaît et qui, péniblement, les a faits tous les trois,
en se perdant en eux. Cette femme était jeune,
elle riait, elle parlait, mais prendre part à la vie
est un jeu périlleux. C’est ainsi que la femme
y est restée sans un mot, fixant des yeux hagards sur son homme.
Les enfants ont tous trois une manière de hausser
les épaules que cet homme connaît. Aucun d’eux
n’a conscience d’avoir dans ses yeux, dans son corps, une vie
qui était pleine, en son temps, et rassasiait cet homme.
Mais quand au bord du fleuve, il voit un de ses fils
se pencher et plonger, il ne retrouve plus l’élan
qu’elle avait en nageant, ni la joie de leurs corps
engloutis. Il ne retrouve plus ses enfants
s’il les voit dans la rue et les compare à lui.
Depuis combien de temps a-t-il fait des enfants ? Ses trois fils
au contraire, marchent d’un air bravache et l’un d’eux, par erreur,
a déjà eu un gosse, sans avoir une femme.
«