Aucun souvenir assez solide, Alain Damasio.
« Elle relayait encore aujourd’hui une cinquantaine de messages par jour pour des phares isolés à demi opaques, des vieilles balbutiant leurs demandes au flambeau, des orphelins que personne ne livrait et qui se nourrissaient d’oiseaux, des psychopathes dont elle avait mis un an à décrypter le charabia bariolé et qui n’avaient qu’elle pour transmettre leur vision du monde à une ville qui s’en foutait comme de sa première lampe. »
Dix nouvelles qui nous plongent dans un nouveau monde pas si lointain du nôtre : celui qui pourrait advenir si nos inconsciences et nos travers perduraient, si nous laissions les choses aller sans réfléchir au monde que l’on souhaite.
Ici, les mots ont été privatisés et, pour les prononcer en public, il faut payer l’entreprise ou l’état qui en est le propriétaire. Les héros de la résistance sont des animateurs de radio pirate qui détournent les mots, en changent une lettre pour les dire sans payer ou bien en inventent tout simplement de nouveaux.
Là, des enfants voulant désespérément rejoindre leurs parents doivent franchir à leurs risques et périls une zone truffée de capteurs tueurs façon jeu vidéo. S’ils sont repérés, le capteur les « dématérialise » et il ne reste d’eux que quelques données digitales…
Là encore, les échanges dans la ville se font par des faisceaux lumineux relayés par des phares. La lumière relie les uns avec les autres.
Ce recueil est fantastique ! Il continue d’habiter mes pensées. Il est doux-amer : à la fois anxiogène tant il tape juste sur certaines dérives technologiques et politiques bénéficiant uniquement aux possédants et amoindrissant la richesse des rapports humains et tout à fait galvanisant tant il est imaginatif et confiant dans la capacité des individus à se faufiler dans les interstices d’une machine à broyer.
Cette lecture c’est une plaque de bitume qui essaie de tout recouvrir mais qui se craquèle et d’où l’on voit sortir des herbes folles pleines de vie.
Je vous le conseille !